ART /

PIET MONDRIAN ( 1872-1944)

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Publié le 21 juin 2013
série De Stijl

Dans ce podcast, Michel Giroud décortique le « continent » Mondrian en réalisant deux de ses tableaux et reproduisant les gestes et la pensée du co-fondateur de De Stijl.
On y croise tour à tour Bach, Chevreul et sa théorie des couleurs (1828), Grasset, Antheil, Satie et Cage… D’étonnants recoupements opérés avec brio par un dispositif simple et efficace, augurant d’une « œuvre ouverte »… en train de se réaliser sous les yeux de l’auditeur de ce nouveau module avant-gardiste !

Michel Giroud et Eric Bernaud (réalisation)

Né en 1872 aux Pays-Bas, et meurt en 1944 à New York passe la majeure partie de sa vie après la Hollande à Paris, d’abord dans les années 10 (3 ans) puis à partir des années 20 jusqu’en 1938, une grande partie de son œuvre majeure s’élabore à Paris dans l’atmosphère du pré-cubisme, du cubisme et du post-cubisme. Mondrian passe d’abord par toutes les écoles, depuis l’académie des Beaux arts, style XVI° siècle puis ensuite selon les différentes tendances impressionnistes, post impressionniste, fauve (Van Gogh , etc) matissienne peut-être, il trouve vers l’âge de 40 ans son œuvre, sa construction, son module, sa méthode de composition, que l’on résume très souvent par l’orthogonale et par les couleurs primaires (le rouge, le bleu, le jaune) , il tiendra parole toute sa vie de manière fondamentale et radicale, refusant toujours d’utiliser l’oblique, ce sera aussi sa querelle amicale avec son ami fondateur de la revue De Stjil, l’organe de la mouvance néo-plastique en Hollande et en Europe qui lui a choisi l’oblique mais nous allons nous concentrer seulement sur deux œuvres de Mondrian qui n’ont pas eu de suite chez Mondrian mais qui ont connu des suites énormes dans les années 50 jusqu’à aujourd’hui, c’est ce qu’on pourrait appeler des tableaux à structure primaire, modulaires où Mondrian fait disparaître complètement la composition : il n »y a plus d’entrée et de sortie. On peut entrer de n’importe où et sortir de n’importe où ! Tout en utilisant les couleurs primaires, on pourrait bien les dépasser et utiliser au hasard n’importe quelle couleur, c’est ce que font certains artistes minimalistes des années 60/80.

 

Le premier de 1918 qui est unique est un losange qui l’appelle « Composition dans le Carré ou lignes grises ».

Nous allons en réaliser une approximation en noir (Il commence au moyen d’une règle à dessiner)

Ce n’est pas encore un Mondrian, il commence à élaborer ce qu’il appelle le futur de la peinture : ce n’est plus cette peinture telle qu’elle s’est développée jusqu’au cubisme, au futurisme, au

constructivisme, ce serait pour lui, le renouvellement d’un art décoratif disons d’un art ornemental entièrement structural. Ce qui veut dire que ce nouveau modèle serait applicable non seulement en extérieur, mais en intérieur, sur les murs, les plafonds, les planchers, en mosaïque, en vitrail, là Mondrian a une intuition fondamentale de renouvellement complet et là nous ne sommes plus dans la décoration, nous sommes bien dans la peinture mais cette fois toutes les formes appartiennent à ce module orthogonal, et à ces couleurs primaires. (il trace une seconde diagonale),

Comme si Mondrian inventait dit-il d’ailleurs une nouvelle civilisation, une nouvelle manière d’habiter analogue à ce qui s’est passé avec la fameuse mosquée bleue d’Ispahan, du IX° X° siècle en Iran entièrement construite selon des règles extrêmement précises et géométriques.

Nous nous débarrassons à la fois de la perspective du XVI° siècle, de la multi-persepective du cubisme, du dynamisme perspectiviste-futuriste, et à la fois d’une certaine manière du constructivisme. Cela il en donne une règle stricte qui est l’orthogonale. Et en quelque sorte de la patte du peintre. Il propose là un exemple de modèle structural. Chacun pourrait réaliser lui-même son propre tableau, sa propre peinture, son propre environnement.

Lorsqu’on examine cette œuvre là : ce losange structural. On s’aperçoit que Mondrian est toujours peintre. Il le fait avec un pinceau. Ce n’est pas du design. Ce n’est pas un dessin géométrique ou un dessin selon des mathématiques. Il y a véritablement ici le passage de la main. Cela aussi, c’est très intéressant. Chaque tableau même si on le répète, le module est forcément différent car il y a une imprégnation de la peinture, un passage manuel qui lui donne sa différence. Ce qu’il y a de très curieux, c’est qu’en même temps Mondrian pour vivre continue comme précédemment à faire des pots de fleur et en particulier des chrysanthèmes, on pourrait regarder ces tableaux autour de 1900, qui auraient pu se développer dans un style floral art nouveau. Pourquoi ne pas se poser la question entre cette structuration ? Et aussi la structuration botanique, de la fleur, car la fleur est entièrement structurée, elle ne se développe pas selon des hasards. A part celui du vent, elle a un code et chaque fleur même dans le même code n’a pas exactement la même couleur et la même apparence. Il y a la variation, la variété. C’est ce que Mondrian nous apporte dans l’extrême réduction, minimale, il y a un maximum de variétés, c’est ce que j’ai appelé un jour dans un de mes manifeste « le MAXILUM dans le MINIMUM. »

Pour le son Mondrian était aussi pour une musique répétitive, structurée, qui va se développer avec son ami George Antheil (1900-1959) qui construit une musique structurale.

 

Dans les années 60, nous aurons Steve Reich et la musique américaine minimale. Il n’y a pas de hasard, on voit bien ici l’engendrement de la formule. Qui n’engendre pas de l’ennui, plus que de la variation au sens de Bach, de la variété, du foisonnement. Il faudrait là revoir Bach et Mondrian. Là il y a quelque chose à regarder. Puisque Bach était protestant et Mondrian aussi. S’exprime une rigueur, un minimalisme qui offre un énorme débordement dans un rituel ;, dans une règle très précise. Nous sommes d’ailleurs accompagnés par le tic tac automatique d’une grosse horloge : magnifique accompagnement au travail structural de Mondrian. Il n’y a pas plus structuré que le tic tac de l’horloge à piles.

 

Le dernier tableau de Mondrian à New York il ne nommera « Bougui bougui » car Mondrian chaque semaine à Paris allait danser le jazz. On pense alors à l’improvisation. Le Jazz est fondé sur des structures de bases strictes Conjonction de la fioriture avec l’extrême base minimale.

New York fonctionne comme une ville de Babylone à l’angle, orthogonal. Portrait sous la forme d’un tableau dit abstrait, ce n’est pas vrai du tout car de la peinture véritable : du rouge, du bleu, du jaune, des lignes, ce n’est pas abstrait. C’est véritablement concret, ce qu’avait développé son ami Van Doesburg : l’art concret. Il n’y a pas d’art figuratif, abstrait. Il n’y a que de l’art concret, sous toutes ses formes diverses. Penser que le tableau n’a plus de centre, plus de périphéries, il peut se construire de n’importe où. C’est une autre manière de voir les choses.

Là, nous ne refaisons pas la composition au carreau, c’est une autre variante possible. Là on ne le fait pas avec un pinceau ! Cette composition en losange va être reprise et étendue à l’extrême dans les années 60/70 par l’américain Sol Lewitt qui va éditer un livre de « Do it yourself », de structures primaires, en noir et blanc et bien sûr aussi avec les couleurs. Que l’on pourra réaliser selon la méthode, ailleurs, dans un musée, sur un mural, sans forcement la présence de l’artiste puisque l’artiste aura donné la réglementation, la méthode-définition.

Chez Mondrian, les lignes n’ont pas les mêmes épaisseurs, elles sont divergentes, différentes,. On peut imaginer des combinaisons, nombreuses. On pourrait épaissir un carré entier et pourquoi pas le carré total. Ce que nous faisons là c’est une sorte de préparation à un losange. On prend immédiatement conscience que travailler avec du feutre est plus difficile qu’avec un pinceau.

 

Nous allons passer au second module : rectangulaire : c’est une structuration d’un rectangle qui serait le double de ce carré. Mondrian ouvre une nouvelle porte, non plus dans le carreau : « Composition dans le damier en couleurs claires » avec des nuances de bleu bleuté, de rouge rosé et de jaune vers le blanc. O,n peut considérer que l’on peut réaliser ce genre de mural selon la gamme de l’arc-en-ciel, pourquoi pas ! Mondrian dit « réalisable selon l’intuition du peintre », selon l’envie de moment. Nous allons passer à ce second passage. Pièce unique à laquelle il ne donne suite – qui va ouvrir les conditions de possibilité plus tard, de l’art minimal. Plus de composition comme avec le losange aux lignes noires et grises, cette fois avec les couleurs. Nous somme presque en face d’une sorte de Jean-Pierre Reynaud, de carreaux carrés. Mondrian a t-il pensé à une sorte de renouvellement du coloriage ?

 

Nous pourrions très bien prolonger l’intuition de Mondrian vers une sorte de coloriage qu’un enfant, un adolescent, un adulte pourrait très bien remplir lui-même et choisir. Voilà les possibilités immenses de Mondrian. Ce qui est intéressant ici c’est que nous sortons des normes, du jugement, du bon goût et du mauvais goût. Tous les carrés sont exacts, sont beaux. Toutes les couleurs choisies sont belles puisque chaque couleur sont dans la nature ou dans un nuancier industriel. Elles ont chacune leur propre valeur : Mondrian ouvre bien une porte immense. Tous les tons ont leurs propres valeurs. On peut les mettre ton à ton. Applicable également à Satie car nous sommes très proche de la pièce « Vexations », c’est comme si l’art vexatif pictural de Mondrian était l’annonce de la micro-tonalité de la peinture : tous les tons sont bons, toutes les formes sont bonnes. Nous avons là comme un clavier, On est face au bougui bougui de la peinture ou le bougui bougui de la danse, il y a chorégraphie.

Ouverture gigantesque…

 

J’ouvrirai ici une parenthèse : C’est comme si Mondrian post mortem rencontrait John Cage et le principe d’indétermination.

C’est très déterminé mais en même temps c’est indéterminé, puisque là qui va me faire décider que je dois aller à gauche, à droite, en haut, en bas, mettre le bleu, le rouge ou le jaune, ou d’autres couleurs, il y a bien là une indétermination, avec ce principe structural, c’est le champ ouvert à ce que l’on appelle l’œuvre ouverte

(Il colorie une case du damier crée depuis le début du podcast).

Comme si nous reprenions les principes de Grasset, mais cette fois sans le talent du dessinateur décoratif, selon le non talent, de l’inspiration immédiate de celui qui gribouille sa couleur. Mondrian y a-t-il pensé ? Quand on regarde « Bougui bougui » attentivement, on voit bien qu’il y a chaque fois une touche et que cette touche n’est pas égale en haut, en bas, à droite à gauche, l’on voit bien que l’inspiration c’est bien le faire dans le moment, comment ça nous chante et selon l’instrument que l’on a ! Je le fais de cette manière là, car ce genre d’instrument, ne me permet pas de faire de l’à-plat. Je suis obligé de faire des stries.

Alors que se passe-t-il ? C’est aussi l’évacuation des principes élaborés par Michel-Eugène Chevreul (1786-1889), fin XVIII°, des lois de contrastes de couleurs, de compositions, selon telle ou telle couleurs.

Ici on peut les mettre dans n’importe quel sens : on évacue la composition, mais on évacue également, Mondrian l’a-t-il voulu ? Toutes les questions de la théorie des couleurs !

Il faudra attendre les années 80 pour qu’on soit totalement libérés de ces vieux principes. On sait aujourd’hui que ces principes sont fondés sur une idéologie théorique esthétique.

Aujourd’hui, Mondrian est perçu comme un libérateur et non pas les artistes actuel minimalistes comme des imitateurs : ils ont développé le potentiel généré par Mondrian. Même si lui-même n’a pas eu le temps de lever ce potentiel ! En tout cas ce potentiel est bien là dans Mondrian. Nous rajoutons quelque chose de supplémentaire à l’époque puisqu’aujourd’hui nous avons les moyens audiovisuels, nous avons une chorégraphie de ma main sur la tablature et dans cette chorégraphie il y a non pas la sonorisation mais la sonorité bruitale du bruissement du feutre sur le bois et si c’était sur du papier ou du verre ce serait autre chose ! Nous entrons là dans une sorte de compénétration simultanée : à la fois le geste, le bruital, le sonore, le vocal (puisque là je commente un peu) et le dessin réduit à sa forme la plus extrême, puisqu’il ne représente plus que rien que lui-même.

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